La Geste des Tisseurs
Par Niabea
La lente
progression au sein des méandres du marécage avait considérablement
assombri l’humeur du jeune Niabea. Lui de tempérament si joyeux et de
nature si ouverte n’avait plus guère adresser la parole à ses
compagnons depuis de longues heures déjà. Le danger omniprésent
cristallisait la tension de manière quasi palpable. A l’avant de la
petite troupe Skuik et Desdemone sondaient de leurs pouvoirs occultes
la lande putride, mais, malgré leurs immenses talents, l’avancée se
faisait pas à pas et à une lenteur sui désespérait l’impulsif Seigneur
de Cadrienia. La sensation à la fois diffuse et tenace de voir son âme
dépérir sous les assauts perfides du triste paysage le rendait même
agressif. Ses vertes prairies lui manquait un peu plus à chaque nouveau
pas et il se surprit même à regretter le temps de l’enfance où la
guerre, bien loin de son atroce réalité, n’était encore qu’un jeu
d’enfant dans lequel il affrontait à l’épée de bois Galeat son ami de
toujours dans de longues joutes qui duraient jusqu’au soir. Il leva les
yeux vers le ciel alors que la nuit commençait à tomber et que la fin
du marécage semblait plus loin que jamais. Il remarqua avec un
contentement infantile que seul le ciel n’avait pas changé durant
toutes ces longues années et cela le rassura.
Il eut alors
l’image de temps futurs sereins et paisibles que la lumière de Mystra
aurait amenée avec l’aide des Tisseurs réunis. Orson lui avait déjà
parlé autrefois des visions qui pouvaient habiter les élus de la
déesse, mais, seul véritable humain de l’ordre, Niabea était, tout
comme les gens de sa race, peu réceptif à ce genre de manifestations.
Pourtant il n’oubliait pas le temps de sa conversion où la déesse de
mystères lui était apparue pour le guider vers son véritable destin.
Depuis ce temps passé le jeune homme prenait garde à ne pas négliger
les messages cachés en ses songes. Non qu’il les considérait tous comme
issus de Mystra, certes non, mais le sentiment d’être un élu de la
déesse et le fait de raviver le souvenir de sa révélation lui redonnait
continuellement vaillance et le renforcer dans ses convictions les plus
profondes. L’espoir d’un avenir meilleur pour Ekarys fut ainsi une
telle poussée d’adrénaline pour le cadet des Tisseurs qu’il porta son
cheval à l’avant bien décidé à soutenir au moins de sa présence morale
l’effort magique terrible que soutenait Skuik et Desdemone depuis bien
longtemps déjà.
Il resta ainsi avec eux à l’avant lorsque
laissant son regard dériver dans l’océan de brouillard qui leur faisait
face il remarqua au loin dans la brume comme une masse imposante bien
qu’encore très diffuse. Le jeune Seigneur allait ouvrir la bouche pour
prévenir ses compagnons quand il remarqua la présence d’Orson à ses
côtés. Le patriarche des Tisseurs que Niabea avait cru endormi pendant
la plus grande partie du voyage perçait les ténèbres de son regard
d’aigle. Un murmure sortit de ses lèvres.
- La cité perdue d’Alderaïn…
Niabea,
interloqué voulut questionner son mentor mais celui-ci avait déjà
repris la parole proposant un arrêt en ces lieux pour la nuit et afin
que Skuik et Desdemone se repose de leurs éreintants efforts. Personne
dès lors ne posa de question et la petite compagnie se dirigea vers
l’obstacle sombre que Niabea avait deviné plus tôt.
La première
chose qui perça la nappe de brume qui recouvrait le marécage fut la
masse imposante d’une tour. Et, tandis que le groupe avançait de
nouvelles formes surgissaient du néant donnant peu à peu naissance à
une véritable ville fantôme. Tandis que les Tisseurs progressaient en
silence à travers ce qui semblait être la rue principale les pavés
recouvrant le sol permirent au Seigneur de Cadrienia d’aller un peu en
avant des autres pour reconnaître les lieux. Pas âme qui vive aux
alentours tandis que flottait dans l’air l’odeur tenace et lancinante
de la tourbe et, à travers elle Niabea en était persuadé, l’odeur de la
mort.
Soudain, alors que rien ne l’avait laissé présagé le vent
se leva chassant dans son sillage le voile blanc qui recouvrait
auparavant le paysage. La vision qui s’offrit alors aux regards des
Tisseurs marqua durablement l’esprit du jeun homme. Sous la brume la
cité abandonnée était certes oppressante, mai, sous la clarté des
derniers rayons du jour le petit groupe constata avec horreur que la
ville n’avait pas été désertée par ses habitants…
De toutes
parts et en tout lieux où la vue des Tisseurs pouvait porter des
cadavres gisaient à même le sol dans des postures et en des
accoutrements ne laissant guère de doute sur l’origine de leurs morts.
Un terrible affrontement avait eu lieu ici. Une dernière bourrasque fit
disparaître enfin les derniers lambeaux du brouillard. Et un fait
frappa Niabea, les cadavres semblaient tous porter le même blason.
Contre qui s’étaient ils donc battus ? Des fresques barbares attirèrent
son attention sur un mur proche. Il porta la main à sa bouche pour
contenir un cri et jetant un regard circulaire sur les murs alentours
remarqua avec effroi que tous étaient porteurs des mêmes signes. Il n’y
avait désormais plus aucun doute dans l’esprit du jeune Seigneur.
Soudain des ombres s’agitèrent dans une ruelle annexe puis disparurent
rapidement. Niabea serra les dents sortit son arme et attacha son
cheval. Se mettant en garde il scruta l’endroit où il avait il y a peu
surpris de façon furtive des ombres. Soudainement il aperçut une face
hideuse qui le regardait au loin. Il eut un mouvement de recul mais
aussitôt il se mit en garde et hurla à l’adresse de ses compagnons :
- Des Trolls !!
Il
n’eut le temps que de se baisser pour éviter le premier coup que lui
portait une de ces atroces choses. Se reculant il para le deuxième et
flanqua sa torche dans le visage de la créature. Avec un cri terrible
celle-ci chargea. L’épée à la main et se protégeant à l’aide de son
long bouclier Niabea tenta de contenir l’assaut. Bien mal lui en prit
car sous le choc il fut jeté à bas puis projeté contre un mur proche.
L’impact fut terrible et sonna quelque peu le jeune Tisseur. Encore
chancelant et s’appuyant sur sa lame pour se redresser et faire face à
son opposant il vit que six ou sept autres de ces monstres le dépasser
pour se diriger vers ses compagnons. Avec un cri de rage le jeune
Niabea chargea à son tour et, profitant de l’inattention de son
opposant lui taillada la jambe droite d’un coup puissant. Surprit, le
Troll chuta et Niabea d’un geste plein de colère lui enfonça sa lame
dans le poitrail jusqu’à la garde. Le troll, fou de douleur frappa
violemment le jeune Tisseur et celui-ci ne du son salut qu’à
l’excellente qualité de son bouclier héraldique qui résista malgré le
choc terrible qu’il avait enduré. La créature s’effondra alors à terre
vaincue. Mais Niabea n’en avait cure car il était sans nouvelles aucune
de ses compagnons et détachant son cheval il sauta en selle et le lança
au galop pour rejoindre ses amis.